- Mathias Matallah
#PlusJamaisCa : Vers un printemps des peuples en Europe ?
Une enquête de l’institut de sondage allemand Allensbach pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung met en exergue les fractures sociales qui se font jour en Allemagne après le confinement. Les résultats peuvent être extrapolés à la plupart des pays européens et ils pourraient être beaucoup plus accentués dans la France et les pays du sud.
Cette enquête intervient au lendemain de violentes manifestations en Allemagne et Suisse contre le confinement. Les manifestants exprimaient leur exaspération devant la lenteur de la levée des mesures de restriction et réclamaient bruyamment une réouverture immédiate de l’économie. La Chancelière Merkel a d’ailleurs largement tenu compte de ces revendications et maintenu un cap très ferme de déconfinement accéléré malgré la pression des médecins qui la conseillent.
Le fait qu’une partie de la population allemande exprime un mécontentement croissant et que les manifestations y aient été inhabituellement virulentes n’est pas une bonne nouvelle pour les pays du sud de l’Europe, qui ont pratiqué un confinement autrement plus autoritaire et mis leur économie bien plus massivement à l’arrêt. Depuis 1848 ou encore 1968, on sait que ce type d’éruption populaire peut devenir vite très contagieux et se diffuser très rapidement aux pays voisins.
L’Espagne semble déjà touchée par cette contagion. L’extrême droite y a lancé une série de manifestations qu’elle souhaite étendre à l’ensemble du pays. Contrairement à l’Allemagne, les revendications sont expressément politiques : les manifestants exigent la démission du gouvernement socialiste, qu’ils accusent sans détour d’avoir déclenché une catastrophe sanitaire et économique sans précédent.
Avant d’aller plus avant dans cette analyse globale, intéressons-nous tout d’abord aux principaux enseignements que l’on peut tirer de cette enquête.
1. La peur face au virus reste élevée
L’épidémie ayant fortement reculé, les indicateurs qui mesurent la menace individuelle que représente le virus sont logiquement plutôt en recul dans la population allemande. Ainsi, la peur générale d’être personnellement infecté par le virus passe en un mois de 44% à 31%. La crainte de voir des proches infectés diminue quant à elle de 69% à 57%.
Mais le recul de la peur n’est pas proportionnel à celui de l’épidémie. On observe ainsi un effet retard dans le retour de la sérénité des Allemands face au virus, qui s’explique par l’intensité du traumatisme vécu lors des premières semaines de l’épidémie. Les plus âgés sont les plus craintifs, notamment pour eux-mêmes.
D’ailleurs, une très large majorité, sensible au discours toujours alarmiste des autorités sanitaires, continue de craindre une résurgence des cas. La peur d’une seconde vague reste en effet très ancrée dans la population : 72% la considèrent comme probable et 25% même comme très probable.
Une forte majorité estime donc que l’allègement des restrictions pourrait n’être que provisoire : 44% estiment que le confinement reprendra contre seulement 23% qui considèrent sa levée comme irréversible.
En résumé, même si l’infection recule, une majorité de la population n’est toujours pour autant pas rassurée.
2. Mais la prudence quant au déconfinement recule
Une très large majorité (82%) continue de considérer que les mesures prises par les autorités ont été efficaces pour contenir l’épidémie.
A l’heure du déconfinement, c’est maintenant sur le rythme de reprise de l’activité que s’exerce le débat. Et la situation est beaucoup moins consensuelle qu’elle ne l’était en début d’épidémie. L’opinion est à ce sujet en effet désormais fortement divisée : 37% considèrent que la sortie du confinement est trop précoce contre 42% qui estiment au contraire que le confinement a été trop long et 20% qui restent indécis.
Parmi les plus craintives, les personnes âgées sont logiquement les plus favorables aux mesures les plus protectrices pour combattre la pandémie (quand bien même elles se montrent très défavorables à des mesures de restriction des libertés qui toucheraient en premier lieu les publics à risque, c’est-à-dire elles-mêmes).
En réalité, ce sont les catégories de population les plus impactées par les conséquences économiques et sociétales du confinement qui poussent pour un déconfinement pleinement assumé.
3. Les populations les plus impactées économiquement par le confinement prennent conscience de sa dangerosité
Au niveau de la société allemande dans son ensemble, l’inquiétude économique paraît encore relativement abstraite. Certes, 76% des Allemands anticipent une grave récession économique. Mais cette inquiétude n’est pas encore fortement ressentie au niveau individuel. Ainsi, 58% des allemands considèrent leur situation financière comme satisfaisante, 31% sont neutres et seulement 11% qu’elle est très mauvaise.
Seulement 12% considèrent que leur situation sera à terme très dégradée par la crise, 34% légèrement dégradée. Cette relative sérénité s’explique par le souvenir de la bonne gestion de la crise précédente de 2009, mais aussi par l’importance numérique des populations pour l’instant épargnées par les conséquences directes de la crise actuelle : les catégories sociales aisées, les salariés placés au chômage partiel, les fonctionnaires, ou encore les personnes âgées.
On remarque même qu’une minorité non négligeable (25%) n’exprime pas d’insatisfaction et déclare même tirer avantage de la situation actuelle. Ce sont essentiellement les fonctionnaires et les travailleurs en chômage partiel, qui apprécient leur temps libre.
A rebours de ce tableau global plutôt optimiste, certaines catégories semblent beaucoup plus inquiètes des conséquences économiques du confinement. Il s’agit principalement des indépendants et des salariés modestes : respectivement 50% et 42% s’attendent à une dégradation très importante de leur situation financière à court terme.
Par ailleurs, certaines catégories de la population se montrent très critiques vis-à-vis des conséquences sociétales du confinement. Il s’agit surtout des parents d’enfants en bas âge (moins de 8 ans) : 77% estiment que leurs enfants ont souffert du confinement, dont 41% qui évoquent une souffrance très élevée. Ce facteur psychologique joue logiquement sur leur perception de la balance coût-avantage du confinement.
On note aussi que 41% de la population considère que les restrictions aux libertés imposées par la lutte contre l’épidémie sont de moins en moins tolérables. Les jeunes sont très massivement surreprésentées parmi cette population critique vis-à-vis du confinement.
Il y a même un noyau de personnes extrêmement vindicatives par rapport aux mesures de prudence encore imposées dans la population. 20% refusent ainsi par exemple l’obligation du port du masque dans les transports publics. Les électeurs de l’AFD sont les plus en pointe dans le rejet des mesures de restriction des libertés en général : 91% les trouvent croissantes et 71% inappropriées.
4. Une opinion très divisée quant à de nouvelles restrictions en cas de seconde vague
Pour ce qui est du moyen terme, on observe une poursuite voire une amplification du clivage observé précédemment. La population se divise en effet clairement en deux camps : celui des catégories sociales les plus protégées (catégories supérieures, retraités, fonctionnaires et salariés des secteurs où les accords de branches sont très protecteurs) d’un côté, le reste de la population de l’autre, avec les indépendants et les travailleurs pauvres au premier rang.
La préservation des vies humaines reste la priorité mais une majorité relative de la population se dessine pour estimer que ce ne peut plus être à n’importe quel prix et qu’il faudra tenir compte du facteur économique si l’on doit vivre longtemps avec ce virus.
Ainsi, 46% de la population est fermement opposée à de nouvelles restrictions en cas de seconde vague (contre 34% qui y est très clairement favorable), ce chiffre montant à 59% chez les indépendants. Pour ces Allemands, il faut certes combattre la pandémie, mais il convient aussi d’accepter une part de risque pour maintenir l’activité économique.
Comparaison Allemagne-France : l’opinion publique française a plus peur de l’épidémie et s’inquiète moins des conséquences économiques
Tout semble se passer comme si l’opinion publique française avait plus de difficulté à percevoir la fin de l’épidémie (1) et à mesurer pleinement les conséquences économiques et sociales qu’elle va engendrer (2). Par ailleurs, les catégories les plus favorables à un déblocage rapide de l’économie ne sont pas les mêmes qu’en Allemagne (3).
(1) Dans la mesure quotidienne réalisée par BVA depuis le début de l’épidémie, les derniers chiffres disponibles (18 mai) indiquent que 77% des personnes interrogées craignent toujours l’infection par le Covid19 pour elles-mêmes ou pour leurs proches, un chiffre stable par rapport à celui mesuré au cours des dernières semaines.
Par ailleurs, la crainte d’un nouveau confinement relatif à une seconde vague est très haute : d’après un sondage Harris Interactive (paru le 8 mai), 72% craignent ce scénario, 24% le jugeant même « très probable » ; un sondage BVA plus récent (18 mai) donne toujours les mêmes chiffres : 71% s’attendent à un nouveau confinement suite à une résurgence des cas (19% « certainement »). Toujours d’après le même sondage, 39% pensent que le pire de la situation épidémique est devant nous, 18% derrière nous, et 33% anticipent une stabilité.
(2) Toujours d’après le sondage BVA, concernant l’impact économique de la crise, une très faible minorité des Français se disent confiants pour la situation de la France (16%) mais une majorité se disent confiants pour leur situation personnelle (57%). Le baromètre quotidien d’Opinionway donne quant à lui dans ses dernières mesures des chiffres encore plus étonnants : la part des Français inquiets pour leur situation personnelle a tendance à baisser (aux alentours de 45% contre 57% au début de l’épidémie), se situant à peu près au même niveau que la part des personnes inquiètes.
Il est frappant de constater qu’à la différence de l’Allemagne, l’on observe très peu de clivages sociaux sur cette question de l’optimisme, les CSP+ comme les CSP- donnant des réponses très proches.
(3) A la différence de l’Allemagne, les CSP- ne sont pas des moteurs pour une reprise rapide de l’économie et une coexistence raisonnée avec le virus. Un sondage IFOP paru le 12 mai est à cet égard éclairant.
On y apprend que 53% des Français estiment que la plus grande crainte pour eux et leurs proches est d’être infecté par le coronavirus, tandis que 47% craignent d’abord les conséquences économiques de la crise.
Un dilemme, entre santé et économie, qui ne penchera pas du même côté selon le niveau de vie : 54% des personnes les plus aisées estiment qu’il vaut mieux un retour rapide à la vie normale, quitte à assumer un plus grand risque sanitaire, pour protéger l’économie. Le contraire pour 73% des plus pauvres qui militent pour un excès de mesures sanitaires, même si cela entraîne une aggravation de la crise économique.
Les données concernant la France doivent cependant être prises avec des pincettes pour deux raisons. La première est que les instituts de sondage français sont, contrairement à leurs équivalents allemands, totalement dépendants des commandes publiques, qui représenteraient en ce moment 60% de leur chiffre d’affaires contre 30% en période normale. Ils ne sont donc pas en mesure de traiter de sujets sensibles de nature à indisposer le gouvernement.
La seconde est que les Français sont encore anesthésiés par le système de chômage partiel mis en place par le gouvernement, qui est tout à la fois le plus généreux et le plus choquant d’Europe. L’économie s’est, hors secteurs essentiels, totalement arrêtée à partir de la fin mars. Deux chiffres permettent de mesurer l’ampleur du phénomène : il y a aujourd’hui plus de 12 millions de personnes en chômage partiel, soit plus de 60% des salariés du secteur privé, contre 3 millions en Allemagne ; 95% des chantiers de BTP sont restés ouverts en Allemagne pendant le lockdown contre à peine 10% en France.
L’écrasante majorité des salariés n’a donc jusqu’ici pas plus souffert de la crise que les fonctionnaires ou les retraités. Pour ce qui concerne les travailleurs indépendants et les millions de travailleur de l’économie informelle, très peu de données fiables sont disponibles alors que ce sont sans doute eux qui ont réellement souffert de la crise et dont le mécontentement est le plus visible.
Vers un printemps des peuples en Europe ?
Le mécontentement d’une partie de la population sur les conséquences économiques de la crise est plus facile à mesurer en Allemagne qu’en France, l’acceptation d’un nouveau confinement aussi. Le climat de peur et de culpabilisation entretenu pendant toute la crise par le gouvernement a fait d’énormes dégâts dans la population, qui vit majoritairement dans la crainte d’une nouvelle vague et de nouvelles mesures de confinement.
Il est donc peu probable qu’une explosion sociale survienne dans les prochaines semaines et il faudra sans doute attendre que les effets de la crise économique se fassent réellement sentir pour que le mécontentement s’étende et entraîne une grave crise politique et sociale.
Peu probable ne veut pas dire impossible et rien n’est encore écrit. La France est, ne l’oublions pas, en crise politique et sociale permanente depuis début 2018 : grève de la SNCF, émeutes des gilets jaunes, blocage du pays pendant 5 semaines à la fin de l’année 2019 pour cause de loi sur les retraites, démissions en cascade de ministres clés, etc. Beaucoup de commerçants et d’artisans étaient déjà au bord de la banqueroute après deux années sans achats de Noël et la pandémie a dramatiquement amplifié ce phénomène. Je suis prêt à parier que si explosion sociale il y a, elle viendra de là.
Mathias Matallah, CEO
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