- Mathias Matallah
Episode 3 : Le piège du tout-collectif !
Bien qu’il y ait énormément de valeur à créer autour de l’assurance santé, les acteurs de ce marché sont en train de rater le coche en oubliant qu'à l'ère Internet c'est toujours le client final qui a raison.

En acceptant sans broncher en 2013 la généralisation de l’assurance collective dans le cadre d’un Accord national interprofessionnel (ANI) transposé ensuite dans la loi, la Mutualité française (FNMF) a sans doute fait la plus grossière erreur de son histoire. Elle a de fait même renié cette histoire en tournant le dos à des décennies de tradition d’adhésion individuelle de ses assurés et au principe « Un homme, une voix » qui faisait sa singularité. L’actuel président de la FNMF, stratège fin et lucide, l’avait clairement compris mais il n’était pas encore aux manettes et son prédécesseur, qui a privilégié ses certitudes idéologiques sur l’intérêt de ses mandants, a mis en toute conscience le feu à la maison mutualiste.
Au-delà du fait de renier son histoire, la Mutualité a pris le risque de ramer à contre-courant de l’histoire et a adopté un modèle Blackberry, alors qu’elle avait l’opportunité de s’inscrire dans un modèle iPhone. Elle risque du coup de subir le même sort que le pionnier du smartphone. Rappelons qu’en 2007, Blackberry était le seigneur incontesté de son métier et vendait ses produits par wagons entiers aux entreprises, séduites par la facilité d’utilisation pour leurs cadres, de plus en plus accros aux mails et autres sms. Tout le monde s’accordait pour dire que ce modèle était la fin de l’histoire du smartphone. Un idiot arriva qui ne savait point et il fit l’iPhone.
L’idiot en question, Steve Jobs, avait compris avant tout le monde que les acquéreurs de Smartphones les utiliseraient de manière croissante pour surfer sur Internet, écouter de la musique ou encore visionner des vidéos. Son écran tactile était certes beaucoup moins performant que le clavier traditionnel des Blackberry mais beaucoup plus adapté à ces nouvelles utilisations. Les chefs d’entreprise, qui sont des consommateurs comme les autres, l’ont vite compris et ils ont sans états d’âmes excessifs tourné le dos à ce qu’ils adoraient encore peu de temps avant. Trois ans après, Blackberry avait été rayé de la carte malgré des tentatives maladroites de sauter dans le train en marche.
La morale de cette histoire est que dans la civilisation de l’information, c’est toujours le consommateur final qui a raison. Et ce qui est vrai dans l’univers technologique l’est aussi en assurance santé. Lorsqu’on choisit le modèle du tout-collectif, c’est l’entreprise qui est le client et ce sont ses besoins qui sont prioritaires. Le pilotage des contrats est exclusivement comptable et les services proposés sont sélectionnés en fonction de leur retour sur investissement (ROI) pour l’entreprise. C’est le modèle Blackberry, c’est-à-dire un modèle perdant à coup sûr.
Pourquoi ? D’une part parce les salariés considèrent que la prise en compte exclusive des préoccupations des employeurs va à l’encontre de leurs intérêts. Pour eux, les services à ROI pour ces derniers sont avant tout des instruments de flicage qui ne peuvent leur apporter que des désagréments. D’autre part, parce que beaucoup de leurs préoccupations immédiates en santé (accès aux soins, prise en charge des nouvelles médecines, e-santé, etc.) ne sont pas prises en compte.
La sanction pour les assureurs santé ne sera pas immédiate parce que dans le système hautement réglementé dans lequel ils évoluent, il n’y a pas de réelle alternative à leur offre. Mais aucune citadelle réglementaire ne résiste indéfiniment au consommateur roi. Dans le cas d’espèce, ce dernier exprime son rejet par des moyens certes détournés mais terriblement efficaces. Le plus immédiat est une pression féroce sur les prix. Une prestation qu’il n’a pas réellement choisie et qui ne répond que très partiellement à ses attentes n’a pas de valeur pour lui et il faut donc qu’elle lui coûte le moins cher possible. Une guerre des prix impitoyable fait donc rage sur le marché de la complémentaire santé et il a déjà fait ses premières victimes, Humanis notamment, qui n’a évité la faillite que grâce à une reprise musclée par son concurrent Malakoff Médéric.
Ce n’est qu’un début. Les écarts de performance entre les différents Blackberry de ce marché sont énormes. Les principaux courtiers d’assurance santé, qui ont capté l’essentiel de la valeur des contrats qu’ils pilotent (relation client et gestion des prestations notamment) au détriment des assureurs, sont très performants dans la gestion des moyennes et grandes entreprises. Ils gèrent efficacement des garanties banalisées à un coût raisonnable et entretiennent des relations privilégiées avec le management de leurs clients. Les institutions de prévoyance sont beaucoup moins performantes sur le plan opérationnel mais elles compensent ce handicap par une relation privilégiée avec les partenaires sociaux qui gèrent les régimes au sein des entreprises et des branches et n’hésitent pas à faire alliance avec les courtiers quand c’est nécessaire.
Les derniers arrivés, les acteurs mutualistes, sont clairement les plus menacés par la sélection naturelle en cours. A quelques exceptions près, ils n’ont ni expertise de gestion de contrats collectifs ni relation privilégiée avec les partenaires sociaux et sont donc tout à la fois trop chers et pas assez initiés. Pour repousser l’échéance, ils s’engagent dans des partenariats systématiquement déficitaires avec les courtiers, qui les considèrent comme une simple variable d’ajustement. Ils dilapident pour cela les fonds propres constitués sur des décennies et quand ils seront au bout de leurs ressources, ils fermeront boutique ou seront repris par meilleurs qu’eux comme Humanis.
Si certains sont aujourd’hui beaucoup plus menacés que d’autres, il ne faut se faire d’illusions, tous les acteurs sont aujourd’hui sur la corde raide. Le marché dans son ensemble détruit de la valeur année après année et les récentes réformes publiques comme le reste-à-charge zéro pour le dentaire, l’optique et les audioprothèses ont vidé l’assurance santé du peu de substance qui lui restait. Un métier où la différenciation se fait au travers du remboursement de quelques dépenses résiduelles n’a pas d’avenir et seul le calendrier de sa disparition est encore aléatoire.
Le paradoxe est qu’il y a énormément de valeur à créer autour de l’assurance santé. Doctolib l’a démontré en créant avec un service simple mais au bénéfice immédiat pour les médecins et leurs patients plus de valeur que l’ensemble des assureurs santé avec leurs services le plus souvent mort-nés ces 5 dernières années. Mais pour créer ce type de services à forte valeur ajoutée, il faut être en contact avec le consommateur final et non avec des DRH d’entreprises ou des partenaires sociaux. Doctolib est certes payé par les médecins mais son service est accessible à tous les patients et c’est donc à bien des égards plus un acteur de B2C plus que de B2B.
La Mutualité a eu l’opportunité, avec Priorité Santé Mutualiste (PSM), de créer un mix de Doctolib et de Doctissimo il y a de cela 15 ans. Pourquoi n’est-elle pas allé au bout de cette expérience ? Parce qu’elle n’a pas su intégrer les codes de l’Internet et qu’elle a géré PSM comme un service des années 1990. A la lumière de cet exemple, on se rend compte que le tout-collectif n’est qu’une des facettes d’une vision obsolète tant des attentes des consommateurs que des médias permettant de dialoguer efficacement avec eux. L’assurance santé a raté le train de la civilisation de l’information et malheureusement pour elle, il ne s’arrête pas à toutes les gares.
Mathias Matallah, CEO
A suivre : L'assurance santé en crise, Episode 4 : Le mirage de l'optique
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